La philosophie est la recherche de la Vérité.

Elle est donc une action bien particulière qui ne peut valoir qu’au moment où la prise de décision et la délibération peuvent être remises à plus tard. Pour philosopher, autrement dit pour se détacher de la contingence et s’attacher à penser l’essentiel, il faut avoir du temps devant soi : c’est un luxe de pouvoir considérer le temps qui passe comme une donnée négligeable et de pouvoir s’en libérer, s’en accorder à réfléchir. Ainsi, la recherche de la Vérité est un affranchissement du temps physique, un accès privilégié à une espace-temps illimité dans lequel s’instaure un dialogue avec Elle. Plus rien d’autre n’a d’importance; le temps semble avoir disparu.

En fait, le temps ne s’écoule pas partout et tout lieu de la même façon : nous le savons depuis la théorie de la relativité d’Albert Einstein. Précisément, lorsque nous débattons, le temps semble s’accélérer au rythme des pulsations du coeur, soumis à la pression et au stress. Si « philosopher, c’est douter », comme le pense Montaigne, débattre, pour nous, c’est au contraire « convaincre pour vaincre »: au scepticisme se substitue l’intuition, au silence contemplatif se substitue la réplique immédiate, spontanée, irréfléchie. Et à mesure que le temps passe, rien ne se produit exactement de la façon dont nous l’avions envisagée. Chaque instant voit le débat modifié en profondeur, ce qui exige de part et d’autre une constante adaptation.

Pour envisager le déroulement possible d’un débat et triompher de l’adversaire, nous allons considérer que la parole est la fusion de deux modalités d’expression dont nous exploitons les intérêts selon les moments forts du débat : la parole dialectique et la parole rhétorique.

Tandis que la parole dialectique engage le temps physique, linéaire, chronologique, la parole rhétorique le neutralise : le temps y devient instant et éternité, circulaire et rythmique – il n’existe plus. C’est pourquoi nous nous représentons la parole dialectique comme une ligne horizontale, pour se souvenir qu’elle est fonction du temps physique, et le temps rhétorique comme un cercle, pour représenter le temps de parole dont on oublie qu’il s’écoule normalement.

Temps dialectique

La parole dialectique est relative au temps physique – quantifiable en secondes, en minutes, en heures. L’action de produire une démonstration est gouvernée par le temps que nous lui accordons, et dont les parties prenantes au débat, celui qui parle comme celui qui ne parle pas, ont relativement conscience. Pour gagner le débat, celui qui parle doit ainsi faire en sorte de prendre son temps sans se faire interrompre: il organise son argumentation par la syllogistique (l’enchaînement logique des idées) et les arguments d’autorité. Le recours à la parole dialectique lui permet de monopoliser le temps imparti tandis que celui qui ne parle pas doit se concentrer pour chercher la faille du raisonnement – au risque de voir sa concentration se dissoudre dans la somme d’arguments de la démonstration, mais aussi et surtout de s’apercevoir que le temps passe, lui échappe, sans qu’il ne puisse ne rien dire, ni rien faire. L’écoute passive, c’est autant de temps dont celui qui ne parle pas pourrait bénéficier pour s’exprimer lui-même : l’heure tourne. La voie dialectique permet de vaincre son adversaire et de gagner l’auditoire par la quantité de temps physique monopolisée et la somme d’arguments exploitée.

Temps rhétorique

Par la rhétorique, le temps passe d’une toute autre manière. Pour le comprendre, considérons le cas particulier de la poésie. Le mètre du discours poétique, par exemple l’alexandrin, instaure une dimension itérative et hypnotique qui symbolise la pulsation du Verbe créateur. La parole rhétorique, faite d’images et de symboles, ouvre les portes du sentiment d’éternité.

La parole rhétorique permet de diffuser son opinion en la faisant passer pour vraie sous la forme d’une image, d’une parabole, d’un paradoxe ; métaphorique et visuelle, elle s’imprègne comme un rêve dans l’inconscient de celui qui ne parle pas comme dans celui de l’auditoire. Aussi dilue-t-elle l’attention dans une autre réalité, dans l’espace sans fin de l’imagination : l’auditoire en devient le réceptacle docile.

La voie rhétorique fait oublier à l’auditoire que le temps passe en lui logeant un scénario dans l’esprit, un mythe qui le plonge dans un état proche du sommeil, où la conscience que le temps passe disparaît. Et de la même façon qu’un rêve influe sur la conscience au réveil, comme si le rêve était l’expression de la réalité sous son aspect symbolique, la voie rhétorique lui fait admettre une réalité dont il n’a pas fait l’expérience mais qui modifie en profondeur sa vision du monde.

David Jarousseau

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