A la disparition de l’Union soviétique en 1991, l’humanité respire: la Guerre froide prend fin. Il n’y a aura pas de cataclysme nucléaire. L’intellectuel américain Francis Fukuyama prophétise « la fin de l’histoire », signifiant par cette expression que le monde entier entre dans sa phase dernière, que la démocratie et le libéralisme, pour les siècles des siècles, vont réenchanter l’humanité tout entière.

Il aura fallu dix ans pour que cette espérance disparaisse, balayée par les attentats du 11 septembre 2001. Après avoir immédiatement engagé leurs troupes en Afghanistan en guise de représailles, les Etats-Unis envisagent à présent de porter la guerre en Irak, aux prétextes que le régime de Bagdad aurait une responsabilité dans les attentats et, surtout, qu’il détiendrait des armes biologiques. Au siège de l’ONU, Colin Powell brandit le 5 février 2003 une fiole d’anthrax en guise de preuve, allégorie de la menace qui justifierait une intervention militaire.

L’étrange défaite de la parole française

Consciente des enjeux, la France redoute le pire: ce ne serait plus seulement le Proche et le Moyen-Orient, mais le monde, désormais, qui serait plongé dans une instabilité politique permanente si les Etats-Unis entraient en guerre avec l’Irak. Pour porter la voix de la France, Dominique de Villepin fait le 14 Février 2003 une allocution remarquée au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. Solennellement, il demande:

 En quoi la nature et l’ampleur de la menace justifient-elles le recours immédiat à la force? Comment faire en sorte que les risques considérables d’une telle intervention puissent être réellement maîtrisés ? 

Long d’une quinzaine de minutes, le discours fait le tour du monde, honorant ce « vieux pays » qu’est la France: l’inquiétude de Dominique de Villepin est fondée et partagée. Toutefois, cette allocution reste aujourd’hui dans l’histoire comme l’étrange défaite de la parole française. Malgré les efforts qu’il a déployés, malgré le bien-fondé de sa déclaration, le Ministre des Affaires étrangères n’est pas parvenu à convaincre son homologue américain ; le déclenchement de la deuxième guerre d’Irak n’a pas pu être empêché.

Pourquoi donc sa parole n’a-t-elle pas correctement rempli sa mission – changer l’ordre inéluctable des choses?

Le symbole, une arme pour convaincre ici et maintenant

Cet épisode tragique de l’histoire de l’humanité nous enseigne que la parole soigneusement argumentée résiste difficilement à l’influence immédiate et irrésistible de la parole symbolique. Que celle-ci prenne la forme d’un objet, d’une photographie ou d’une métaphore, la parole symbolique est une imago mundi qui saisit l’esprit, aveugle l’intelligence d’une lumière éclatante qu’aucune contre-argumentation ne saurait affaiblir. Voilà pourquoi le discours de Dominique de Villepin n’a pas suffit à liguer les nations ensemble pour dissuader les Etats-Unis d’intervenir en Irak: il ne comportait aucun symbole suffisamment puissant à opposer à celui de Colin Powell.

Dans ce sens, lorsque le temps joue contre soi et contre les intérêts vitaux des peuples, un discours qui invite à réfléchir est une défaite; un discours qui invite à agir est une victoire. Quand il est capital de convaincre ici et maintenant, il faut des mots créateurs d’images apocalyptiques:  des mots qui portent en eux la révélation.

L’appel du 18 juin du Général de Gaulle: des mots choisis pour écrire l’histoire

Les mots prennent un sens différent selon la manière dont on les emploie. Dans leur sens littéral, les mots servent à faire comprendre. Dans leur sens allégorique, ils servent à inspirer. Dans leur sens moral, ils servent à enseigner la différence entre le bien et le mal. Dans leur sens anagogique, ils servent à délivrer une vision de l’avenir. Au point parfait d’équilibre où s’unissent ces quatre dimensions, la parole prend vie, prend feu et transforme le monde.

Lorsque le Général de Gaulle lance son appel le 18 juin 1940, le temps presse: il est indispensable, ici et maintenant, d’imprimer dans les esprits de ses compatriotes la marque du courage et de créer un sursaut d’espérance. Avec concision, il fait d’abord un point de la situation, employant les mots dans leur seule dimension littérale:

Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.

Pour que son discours soit une exhortation à agir, le Général de Gaulle insuffle alors en une seule phrase les trois autres dimensions de la parole – allégorique, morale et anagogique. Très solennellement, il déclare:

 La flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. 

Par l’invocation de l’allégorie du feu prométhéen et du sol invictus, par l’emploi du verbe « devoir » dans son sens moral, par l’usage anagogique du verbe « s’éteindre » au futur, le Général de Gaulle fait de la France le symbole éternel de la résistance. La ligne de l’histoire s’infléchit. La résistance française s’organise. Les nations alliées s’engagent à leur tour et la ligne de l’histoire se courbe davantage. Voici donc ce qui arrive quand la parole française remplit sa mission : se lèvent et marchent côte à côte tous les hommes de bonne volonté et l’histoire, à nouveau, peut enfin recommencer.

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