Le 7 février 2017, en pleine campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron fait une étonnante déclaration lors d’un meeting qu’il tient à Lyon:

Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse.

Inéluctablement, la formule bouleverse une partie de l’opinion. Ambiguë, elle laisse entendre que la France n’est que le résultat d’une longue série de mouvements aléatoires, du flux et du reflux de populations européennes et extra-européennes. La France d’Emmanuel Macron, c’est une construction sociale. L’ancrage du candidat est soudainement marqué à gauche.

Alors, pour les Républicains et le Front National, l’occasion est trop belle de répliquer : il faut marquer sa différence et solidariser le peuple français autour d’une idée forte, la France éternelle.

Dans les colonnes du Figaro, c’est le centriste Yves Jego qui ouvre les hostilités. Il répond avec élégance et fermeté à la déclaration du candidat d’En Marche!, profitant de l’occasion pour rappeler l’idée de la France en laquelle il croit:

Quand nous affirmons qu’il y a une culture française ce n’est pas parce que nous prétendons qu’elle est supérieure aux autres, c’est parce que nous savons qu’être Français c’est partager une culture commune, une langue bien spécifique et l’esprit de la République.

Yves Jego fait la choix de la pondération, de la hauteur de vue. Mais chez les Républicains et au Front National, les déclarations des ténors sont nettement moins mesurées. Après tout, il faut bien se faire l’écho de la colère du peuple qui gronde sur les réseaux sociaux. Vox populi, vox Dei.

Au quart de tour, Florian Philippot déclare avec malice sur Twitter:

Macron hier à Londres s’enfonce encore : “L’art français je ne l’ai jamais vu”…Faisons lui visiter la France, son patrimoine, sa culture !

Lors d’un meeting qu’il tient à Nîmes, le candidat des Républicains François Fillon ne mâche pas non plus ses mots. Avec l’aplomb qui caractérise les hommes de conviction, il affirme :

La France c’est pas un hôtel international sans âme où cohabitent des individus anonymes et des communautés étrangères les unes aux autres. Nous ne sommes pas une aire d’autoroute où les citoyens du monde se croisent par hasard avant de reprendre leur route.

Pourtant, en dépit de cette riposte enthousiaste de la droite et de l’extrême droite, le dimanche 7 mai 2017, Emmanuel Macron est élu Président de la République. Comment donc un candidat à la plus haute fonction de l’Etat ayant déclaré qu’ “il n’y a pas de culture française ” a-t-il pu réussir à convaincre une majorité d’électeurs?

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Loin de moi l’idée que l’élection présidentielle se soit jouée sur cette seule phrase. Cela étant dit, elle est un marqueur fort de la stratégie de communication du candidat d’En Marche!. Une stratégie fine et victorieuse.

D’abord, parce que cette punchline est une provocation. Elle a suscité les réactions attendues: brutales et banales. Elle a également eu les effets escomptés: la droite, déjà fragilisée par les affaires de François Fillon, perdait chaque jour un peu plus de sa crédibilité. En tenant des discours équivalents au Front National au lieu de marquer sa différence sur le volet économique, elle se ringardisait en même temps qu’elle se radicalisait.

Ensuite, parce que la phrase est prononcée par un homme, Emmanuel Macron, qui doit tout à la culture française. Le fait de prononcer cette punchline lui a d’ailleurs donné l’occasion de préciser sa pensée dans une tribune publiée par le Figaro. Le 17 mars 2017, il y déclarait :

La culture française est un fleuve nourri de confluents nombreux, la rencontre de la tradition et de la modernité. 

Cette mise au point a permis à Emmanuel Macron de grignoter des voix à la droite et à l’extrême droite, dans la mesure où il a fait référence à la conception traditionnelle de la France éternelle, issue d’un « fleuve » dont les sources sont grecque, romaine et judéo-chrétienne.

Enfin, parce que déclarer en février qu’« il n’y a pas de culture française » et prononcer son discours de victoire au Louvre, symbole de la France éternelle, lors de son élection le dimanche 7 mai, est la marque incontestable d’un stratège talentueux, audacieux, capable d’anticipation et d’exploitation des forces en présence. Non seulement cela lui permet de lever définitivement l’ambiguité de son propos, mais il gagne la confiance des électeurs de droite déçus par François Fillon pour les élections législatives à venir.

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En réalité, lorsque le candidat Emmanuel Macron déclare qu’ ” il n’y a pas de culture française “, il prononce une antiphrase ; autrement dit, il dit l’inverse de ce qu’il pense. Par là, il tend à la droite républicaine un guet-apens dans lequel elle tombe. Depuis, elle est en chute libre.

Félicitations, Monsieur le Président!

David Jarousseau

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