A la période classique, Boileau écrivait dans son Art poétique: « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. » Cette grande et belle vérité a depuis été enseignée à des générations d’écoliers, leur rappelant qu’il est nécessaire de maîtriser son sujet avant de s’exprimer.

Désormais, nous sommes façonnés par cette même idée qu’il faut toujours réfléchir avant d’agir.

Mais il existe bien des situations où nous n’avons pas le temps de réfléchir avant d’agir et de nous exprimer. Quand nous sommes soumis à une batterie de questions de la part d’un recruteur, d’un journaliste ou encore d’un adversaire dans le cadre du débat d’idée, nous ne pouvons pas nous emmurer dans le silence et réfléchir aux mots à employer. Guidés par notre intuition, nous devons réagir et répartir instamment.

Répartir, c’est l’action de parler avant même que la pensée soit mobilisée; c’est parler dans l’incertitude. Le Verbe précède la pensée et les mots qui l’organisent. Mais alors, comment bien concevoir et énoncer clairement une idée quand nous sommes noyés dans le brouillard?

La parole est un risque

Commençons par accepter cette idée simple: nous savons rarement ce que nous allons dire exactement au moment où nous prenons la parole. A l’exclusion de certaines situations où nos réponses sont construites à partir de réflexes conditionnels ou de l’apprentissage par coeur de notre discours, nous ignorons toujours la trajectoire exacte que prendra notre parole.

Ainsi, prendre la parole est un risque construit sur une incertitude permanente; l’éloquence est l’art d’improviser, c’est-à-dire d’organiser intuitivement des mots qui sortent un à un de notre bouche. Ce n’est pas la pensée qui les fait jaillir initialement, c’est l’intuition. La répartie, c’est donc l’art de parler dans le brouillard de l’incertitude. Ordo ab chao: l’ordre naît du chaos de la parole spontanée.

Parler dans l’incertitude

Par nature, l’homme est plongé dans les ténèbres, dans le chaos. Dans son essai de stratégie militaire Décider dans l’incertitude, le Général Vincent Desportes dit de la guerre comme de toutes choses : « la seule certitude, c’est l’incertitude. » Par là, il affirme que rien de ce qui se produit ici et maintenant  ne peut être exactement envisagé. Dès lors, suivre exactement un plan est  contre-productif car il existe toujours une part d’incertitude dans les conséquences de l’action.

La parole est un risque, une marche à petit pas dans le brouillard. Comme chaque mot, chaque pas peut être déplacé et causer notre chute. Or, s’il est dangereux d’avancer dans le brouillard, l’immobilité nous condamne. Le retour de la clarté ne viendra pas miraculeusement. Alors, la seule manière d’avancer dans le brouillard… c’est d’avancer.

Dans ce sens, quand il nous faut répondre à des questions insistantes, il faut parler avant de réfléchir. Le silence, qui est sagesse en d’autres circonstances, devient un aveu d’ignorance. Cela étant dit, de la même manière qu’il faut toujours avancer dans le brouillard avec vigilance et d’un pas mesuré, il faut commencer par parler avec calme et sans précipitation: nous éviterons ainsi de dire des maladresses que nous pourrions regretter. Car chaque mot prononcé mal à propos pourra être retenu contre nous.

Suivant cette méthode, à mesure que nous parlons, les mots parviennent à s’organiser. Ordo ab chao. Le brouillard se lève, la lumière revient enfin car c’est la parole qui crée la pensée, et non l’inverse.

Vaincre l’incertitude

Pour continuer de parler dans l’incertitude, nous pouvons nous appuyer sur des expressions qui modèrent le discours. Ces expressions permettent de formuler des idées en en relativisant la portée. En voici trois exemples: « dans une certaine mesure », « en quelque sorte », « pour ainsi dire ». Grâce à elles, nous pourrons développer notre propos avec prudence et réduire le risque de dire des maladresses. Grâce à elles, nous pourrons parler pour réfléchir et non plus réfléchir avant de parler. Continuant de cheminer ainsi, notre parole gagne en force, en beauté, en stabilité.

Que les choses soient claires: la parole crée la pensée, crée l’action, crée la vie. « Au commencement était le Verbe » ne veut pas dire autre chose.

David Jarousseau

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